Rencontre au CDI avec l'écrivain Jérôme Leroy

Rencontre au CDI avec l'écrivain Jérôme Leroy

Les élèves de 2nde6 ont le plaisir de rencontrer l’écrivain Jérôme Leroy le jeudi 30 janvier dans le cadre du dispositif des rencontres d’écrivains organisées par la DAAC du rectorat de Strasbourg, afin de parler de son livre « Vivonne » et d’en savoir plus sur la routine d’un écrivain. Les élèves avaient lu le roman et ont pu poser des questions sur l’auteur et sa vie.

Jérôme Leroy n'écrit pas tous les jours. Il lui a fallu six mois d'écriture pour « Vivonne », mais il y pensait depuis dix ans. Pour lui l’écriture n’est pas une évasion, mais plutôt quelque chose qui le poursuit. Il lui faut mettre des mots sur ses sentiments, il le perçoit comme une nécessité intérieure.

Dans la rédaction d’un livre, ce qui lui plaît le plus, c’est la fin de l’écriture d’un livre car il ressent une émotion à l’arrivée du livre entre ses mains. Ce qui lui plaît le moins en revanche, c’est la correction, malgré que l’avis de l’éditeur soit souvent pertinent et professionnel. Ensuite, il n’écrit pas pour le lecteur, mais aime avoir des retours de leur part.

Un projet précoce

Petit, il aimait les histoires, et le livre était très présent dans sa famille. Ses grands-parents étaient instituteurs et son père médecin. Son premier roman a été écrit à la machine à écrire, maintenant, il écrit sur ordinateur, mais il préfère un carnet pour la poésie et aime les correspondances d’écrivains.

Plus jeune, il a lu « Voyage au bout de la nuit » de Céline et « À la recherche du temps perdu » de Proust car ils ont chacun à leur tour inventé un langage qui leur est propre. Il apprécie le roman noir, plus particulièrement ceux de Balzac, qui montrent la violence de la société à travers le réalisme du XIXe siècle. Au collège, il savait qu’il voulait être écrivain. La création l’intéressait plus que l’argent.

En seconde, il lisait « 1984 » de George Orwell, beaucoup de poésie comme Apollinaire avec par exemple « Zone », ainsi que des romans noirs et des polars de la collection « Série Noire » de l’édition « Le Masque ». En cinquième, il s’est initié à la science-fiction, mais lisait plus des dystopies et du postapocalyptique, qui lui ont fait gagner du temps dans sa réflexion, mais pour lui « L’Odyssée » d’Homère est un texte protéiforme, fondateur de la littérature. Son conseil aux jeunes lecteurs ? « Si on sent qu’écrire est une nécessité intérieure, alors ne jamais lâcher et essayer de se faire éditer. Et surtout lire beaucoup. »

En tant qu’écrivain, Jérôme Leroy ne craint pas la page blanche. Car ce de quoi il aime parler fait partie de son époque. Il ne parle pas d’inspiration, mais plutôt d’« imprégnation » et apprécie le double sens de l’expression. En revanche, il craint de perdre le fil s’il ne peut pas écrire pendant plusieurs jours ; il a plus de mal à reprendre après.

Jérôme Leroy ne croit pas que la beauté d’un lieu favorise la création : « Flaubert se dépêchait de vivre pour écrire », indique-t-il. S’il se trouve dans un endroit plaisant, il aime en profiter, mais il préfère travailler dans un lieu neutre et déconnecté. Il lui faut de l’austérité pour pouvoir travailler.

De son point de vue, la littérature répète souvent des choses archaïques. Il n’existe pas d’études pour devenir écrivain en France, mais écrire est un métier. Il a d’ailleurs suivi des études de lettres.

Lors de l’écriture de roman, il craint toujours les commencements. Il aime les romans de Sagan, comme « Des bleus à l’âme », qui traitent d’une certaine façon cette peur. Les lecteurs lui font parfois prendre conscience de certains aspects de ses livres.

Pour lui, être édité permet un jugement objectif et une meilleure correction du texte. Il ne croit pas aux messages dans la littérature : un auteur peut être engagé, mais c’est dans le choix du sujet que cela se joue. Par exemple, « Balzac avait compris la société communiste malgré son appartenance au régime politique de droite », affirme-t-il.

La poésie, « la porte au fond du jardin »

Pour ce roman, il avait envie de créer un écrivain fictif. Il apprécie la poésie et Jean-Claude Pirotte. Vivonne est le personnage principal, pourtant dans le roman on ne lit aucun de ses poèmes. La question principale du livre est de savoir comment faire exister Vivonne sans le montrer. Il aime les couleurs et la synesthésie, les associations des mots aux couleurs, comme dans « Voyelles » de Rimbaud. Dans « Vivonne », il est obsédé par le bleu doré, inspiré de la mer en Grèce. Il voulait en faire un motif récurrent, tout comme « la porte au fond du jardin ».

Ensuite pour l’édition du livre, il est passé par une édition blanche, Gallimard. Son roman n’appartient pas à la littérature de genre, mais après avoir reçu le Grand Prix de l’Imaginaire, il a été publié en science-fiction, format poche. Il n’a pas eu le choix de la couverture en format poche, mais elle ne va pas à l’encontre du livre.

La poésie est importante pour lui, notamment face à la possibilité de l’effondrement du monde. Il a l’impression de vivre un petit peu dans une dystopie. Ce que les auteurs des années 1950 à 1970 imaginaient, tels Georges Orwell ou Ray Bradbury, est déjà en train de se produire. Il considère cependant la poésie comme un apaisement dans un roman d’anticipation.

De tous ses romans, il n’a pas de préféré. Dans ses livres, il n’aime pas parler de lui, mais paradoxalement, « Vivonne » est celui où il s’est le plus confié. Il l’a écrit pendant le confinement, dans une atmosphère où il rêvait beaucoup. Il s’est laissé emporter « comme un gamin dans un musée ». Il avait conçu dès le départ l’idée des trois voix : Garnier, Chimène et Béatrice, mais il laisse le lecteur interpréter comme il le veut la fin du livre. Des thèmes récurrents reviennent : l’impossibilité de disparaître, l’oppression sociale, et la fascination pour la disparition et il observe comment la société actuelle prend plaisir à disparaître.

« Vivonne » est un roman d’anticipation qui explore des problématiques déjà présentes : l’extrême droite, l’élection de Trump comme personnage extrémiste, le repli sur soi, et la crise environnementale, comme le typhon qui s’abat sur Paris au début du livre. Dans ses romans, certains motifs reviennent toujours : la poésie avec Vivonne, Béatrice avec un discours amoureux lyrique et Chimène avec sa brutalité narrative. Il fonctionne comme Balzac, avec des retours de personnages secondaires dans plusieurs romans. Il mélange lieux réels et inventés, ce qui donne un impact particulier à ses histoires. Son domaine de prédilection n’est pas la science-fiction, mais plutôt l’anticipation. Il aimerait pouvoir parler aux personnages de son livre et ressent le besoin de "rentrer dans l’image", comme s’il voulait être dans son propre univers. Lors de cette rencontre nous avons pu pleinement apprécier l’échange avec cet écrivain passionnant qui a su nous faire partager son amour de la littérature.

Elise, Elina, Omayma, Rémy, Morgane