"Michèle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?" à L’Espace Rohan

"Michèle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?" à L’Espace Rohan

Michèle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? à L’Espace Rohan

 

 Voilà une question qui interpelle ! « Michèle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz  ,».

C’est le titre d’une pièce de théâtre très dynamique que les élèves qui suivent la spécialité HLP (Humanité Littérature Philosophie) ainsi que les élèves de l’atelier théâtre du lycée Leclerc ont eu la chance de voir à l’espace Rohan à Saverne, le 7 novembre, grâce à leur professeur Mme Niess. La mise en scène de Laurent Crovella, metteur en scène en résidence à l’espace Rohan, est audacieuse. Les spectateurs sont sur scène, assis sur des gradins qui entourent l’espace de jeu théâtral. Cette grande proximité entre acteurs et spectateurs, quelque peu déstabilisante au début a permis une belle immersion dans l’univers de ces ados en voyage scolaire. Le spectateur suit ces jeunes ultraconnectés et parfois survoltés qui utilisent en permanence les réseaux sociaux. Laurent Crovella, directeur de la compagnie « Les Méridiens » a habilement réussi à mettre les échanges de messages, les « like », les « emojis » enr scène et la pièce est menée tambour battant. Les acteurs, jeunes adultes majoritairement, se glissent avec une grande aisance dans l’univers des ados d’aujourd’hui sans jamais le caricaturer.

Bien sûr la pièce interroge sur l’incongruité de faire un selfie dans un lieu de mémoire. Le dramaturge, Sylvain Levey qui a écrit cette pièce s’est inspiré d’un fait divers. Une jeune américaine, Breanna Mitchelle, en 2014, s’est prise en photo dans le camp de concentration arborant un grand sourire devant les sinistres bâtiments. Elle a de suite posté la photo sur les réseaux sociaux et les réactions ont été nombreuses, dans le monde entier, et parfois violentes.

Si la question du selfie à Auschwitz est au cœur de cette pièce c’est aussi l’utilisation permanente des smartphones et des réseaux sociaux qui questionnent le spectateur.

Les élèves ont pu échanger avec le metteur en scène et les comédiens dans un « bord de plateau » à l’issue de la représentation.

Quelques jours après la représentation, le metteur en scène est venu au CDI du Lycée Leclerc pour échanger avec les élèves qui ont pu voir la pièce. Interrogé sur son travail de metteur en scène et directeur de compagnie, il a raconté la genèse de ce spectacle.

Au départ, l’idée vient du théâtre de tréteaux comme il existait au Moyen-Age, Un spectacle que l’on peut transporter, installer dans une salle qui n’est pas forcément faite pour le théâtre. On peut ainsi toucher toutes sortes de spectateurs, parfois loin des lieux culturels habituels.

Les premiers pas du spectacle : à la fin du deuxième confinement, les théâtres étaient encore fermés mais il était possible de faire des représentations dans les établissements scolaires. A la demande de l’Espace Rohan, une représentation s’est mise en place en quelques jours au lycée Leclerc : une lecture de « Michèle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz »… Le projet était né…

Laurent Crovella explique le travail qui aura été nécessaire pour pouvoir présenter le spectacle sur scène : les chiffres sont édifiants : 1900 heures de travail, 17 personnes, de l’auteur jusqu’au metteur en scène, en passant par le constructeur de décor, la costumière… Un budget global autour de 100 000 € pour une trentaine de représentations prévues cette saison.

Les élèves interrogent le metteur en scène sur le choix de la pièce. L’observation des adolescents qui utilisent les smartphones et les réseaux sociaux en permanence. De quoi interpeller ceux qui ont grandi sans ordinateur ni téléphone portable. Laurent Crovela a une fille qui comme beaucoup de jeunes gens a souvent le nez dans son téléphone.

La shoah aussi. Le metteur en scène raconte une anecdote. Son grand-père avait un ami proche que Laurent Crovella, enfant, voyait souvent partager des moments conviviaux autour d’un verre dans la maison familiale. Un jour, au collège, on emmène les élèves voire le film « Nuit et brouillard d’Alain Resnais ». Le film-document est très dur et l’enfant est profondément marqué. A la fin du film, la parole est donnée à des rescapés de la shoah. Apparait à l’écran l’ami de son grand-père qui relève sa manche et montre le tatouage sur son bras. Cet homme qu’il voyait régulièrement à la maison était un rescapé d’Auschwitz.

« Le temps efface presque tout » disait Jorge Semprun. Le théâtre fait aussi mémoire. Est-ce que l’image de ces camps de concentration va encore rester vivace longtemps ? Le metteur en scène s’interroge…